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« Le changement durable survient par l’action collective, en en faisant la preuve »


Publié le Mercredi 19 Janvier 2022 à 12:36

Invité par Brigitte Bourguignon à prendre la parole lors de la conférence « Dessine-moi l’EHPAD de demain », l’architecte urbaniste Patrick Bouchain s’est vu confier la mission « d’accompagner les transformations des EHPAD tant dans leur forme que leurs usages ». Un défi de taille que ce lauréat du grand prix de l’urbanisme envisage « dans sa globalité », en intégrant plusieurs établissements à son projet « La preuve par 7 ». Rencontre.


Patrick Bouchain, architecte urbaniste. ©DR
Patrick Bouchain, architecte urbaniste. ©DR
Pourriez-vous, pour commencer, nous présenter votre projet « La preuve par 7 » ?

Patrick Bouchain : Soutenue par le ministère de la Culture, le ministère de la Cohésion des territoires et la Fondation de France, cette expérimentation en cours depuis quatre ans est l’aboutissement de 40 années de travail professionnel. Son idée centrale réside dans le fait que le changement durable survient par l’action collective et en en faisant la preuve. Plus concrètement, toute démarche qui veut un tant soit peu faire bouger les lignes doit associer l’ensemble des acteurs, leur participation ne sauront se résumer à un simple avis ou à l’écriture d’un rapport. Elle revêtira néanmoins des formes très différentes en fonction de l’échelle territoriale adressée. C’est pour cela que j’ai appelé ce projet « La preuve par 7 », puisqu’il traite de sujets similaires en se concentrant sur sept échelles : un village, un bourg, une ville, une commune de banlieue, une métropole régionale, un équipement structurant – en l’occurrence un bâtiment public désaffecté – et un territoire d’outre-mer. À chaque fois, la géographie, les problématiques rencontrées, les acteurs mobilisés, ou tout simplement l’interprétation du droit et l’application de la règlementation, y sont différents.

Comment comptez-vous y inclure les EHPAD ?

La lettre de mission de la ministre en charge de l’Autonomie fixait trois objectifs d’étude, autour d’un lieu de vie dédié à la vieillesse, d’un EHPAD ouvert sur la ville et de la rénovation d’un établissement occupé. J’ai tout naturellement manifesté mon intérêt pour intégrer ces réflexions à celles déjà menées dans le cadre de « La preuve par 7 ». En lien avec Vincent Léna, directeur de cabinet de Brigitte Bourguignon, et Pauline Sassard, conseillère technique en charge du suivi de la mission, nous étudierons donc le sujet des EHPAD et plus largement celui de la vieillesse sur les différentes échelles que je viens d’évoquer. À Bagneux, dans un territoire métropolitain des Hauts-de-Seine, par exemple, nous travaillons sur la jeunesse avec la mise en place d’un tiers lieu des savoirs pour des lycéens. L’idéal serait d’y associer ici un équipement qui s’adresse à la vieillesse, car il serait à mon sens particulièrement intéressant que les plus anciens puissent transmettre leur savoir aux nouvelles générations. 

Quelles sont les conditions de réussite de ces projets autour du grand âge ?

Chaque projet suivi à travers « La preuve par 7 » nécessite trois fondements pour pouvoir donner des résultats probants : des décideurs politiques, des opérateurs et des forces vives. Nous devons ainsi en premier lieu pouvoir nous appuyer sur un maire, et plus largement un conseil municipal, volontaire. Nous devons également pouvoir compter sur des moyens suffisants apportés par un aménageur lui aussi impliqué, qu’il s’agisse dans ce cas présent d’un opérateur classique d’aménagement d’EHPAD ou d’un organisme HLM. Enfin, le troisième élément primordial est l’engagement d’une personnalité de la société civile, un militant, un ex-élu, un ex-fonctionnaire d’État, un personnel d’EHPAD, une personne âgée… Nous essayons aujourd’hui de trouver une configuration similaire, voire des structures analogues, pour les EHPAD.

Pensez-vous réussir à dessiner un modèle pour l’EHPAD de demain ?

Le principe-même de modèle pose problème, puisqu’il peut porter à croire qu’il suffira d’une seule et même modélisation pour traiter tous les cas de figure. Or chaque situation est différente, les résidents en EHPAD n’ont pas tous les mêmes pathologies ni le même niveau de dépendance. On ne pense pas un hôpital autour de « la maladie », on ne peut pas penser l’EHPAD autour de la seule vieillesse. On peut d’ailleurs très bien imaginer plusieurs types d’EHPAD, des établissements d’accueil de jour, des établissements d’accueil temporaire…, en faisant des EHPAD des lieux multiples où il serait possible de faire des allers et retours.

Quels seraient pour vous les autres éléments à intégrer prioritairement aux réflexions ?

Ces derniers mois de crise sanitaire ont nettement montré le besoin, pour les résidents, de pouvoir rester en contact avec l’extérieur, d’accueillir leurs familles et leurs amis. Les EHPAD doivent donc être perméables et cette ouverture doit être constante avec, par exemple, la création de lieux de rencontres à proximité de l’établissement : un centre de conférence, une maison de la jeunesse et de la culture, une crèche… Les résidents seraient alors mieux intégrés à la société.

Brigitte Bourguignon a annoncé, cet été, le lancement d’une consultation pour trouver un nouveau nom aux EHPAD. Qu’en pensez-vous ?

Plusieurs changements sont en effet en cours, et passeront certainement aussi par la modification du regard réglementaire, avec un EHPAD qui ne sera par exemple plus obligatoirement associé à l’hôpital. En ce qui concerne plus spécifiquement le nom, je constate que celui-ci a déjà beaucoup évolué : on parlait auparavant de maisons de repos, qui sont ensuite devenues des maisons de retraite puis des EHPAD, maintenant que l’on vit plus vieux. On a en quelque sorte abstrait la dénomination d’un lieu où beaucoup meurent. Cela rejoint d’ailleurs la tendance actuelle, de construire les EHPAD à la périphérie des villes ou dans des zones excentrées. Il faut remettre ces établissements au centre, les intégrer pleinement dans la société.

Quelle est ici votre vision d’urbaniste ?

L’on entend souvent dire que l’espace public n’existe plus, ou qu’il est accaparé par les commerces. Pour changer les choses, et nous avons tous besoin de ce renouveau, nous devons retravailler ces espaces en nous inscrivant dans une réflexion urbanistique autour du territoire, et non uniquement de l’aménagement métropolitain. En zone urbaine comme rurale, on peut très bien imaginer la création de lieux transitoires dans des commerces fermés, par exemple. En réalité, on peut imaginer beaucoup de choses, mais notre but est une fois de plus d’en faire la preuve. C’est dans cette même approche que nous nous inscrirons en ce qui concerne les EHPAD : après avoir identifié les espaces de travail, nous réunirons les acteurs concernés et co-construirons la démarche sur un temps long, peut-être trois ans. Et, comme pour tout projet, dès que la décision politique aura été actée, nous aurons des résultats. Parce que toute démarche de ce type interroge le financement, la réglementation… Nous aurons ainsi rapidement une première vision de la conception et de la construction de ces nouveaux aménagements.

Article publié dans le numéro d'octobre d'Ehpadia à consulter ici
 



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